Critique de livre : La dernière monnaie coloniale d’Afrique : L’histoire du franc CFA par Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla


Dans La dernière monnaie coloniale d’Afrique : l’histoire du franc CFA, Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla explorez comment le franc CFA, créé en 1945, a fonctionné comme une forme d’impérialisme monétaire français. Démolissant la rhétorique superficielle entourant le système CFA, les auteurs sont d’excellents guides sur son histoire politique, diplomatique et technique, constate Scott Timckeproposant un ouvrage qui intéressera particulièrement les historiens de l’économie, les théoriciens du postcolonial et les politologues.

La dernière monnaie coloniale d’Afrique : l’histoire du franc CFA. Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla (traduit par Thomas Fazi). Presse Pluton. 2020.

Le thème central de La dernière monnaie coloniale d’Afrique C’est ainsi que la France exerce son contrôle sur plusieurs pays africains à travers le système du CFA, « la plus ancienne union monétaire du monde » (137). En discutant en détail des mécanismes monétaires, Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla démontrent massivement comment ce système, instauré en 1945, préserve une hiérarchie dans laquelle les bénéfices pour la France sont « sous-estimés » et les bénéfices pour les pays africains sont « exagérés » (103).

En démolissant la rhétorique superficielle selon laquelle le franc CFA est une monnaie africaine, comme l’a récemment déclaré Emmanuel Macron dans son communiqué à Abidjan, la principale contribution de ce livre est de démontrer la pertinence contemporaine de l’analyse néocoloniale. Sentant à quel point les puissances coloniales étaient ambivalentes face aux « vents du changement », Kwame Nkrumah a décrit en 1965 comment le néocolonialisme est « exercé par des moyens économiques ou monétaires » et « par un consortium d’intérêts financiers ». Pigeaud et Samba Sylla sont d’excellents guides sur le fonctionnement récent de ces moyens et intérêts.

Beaucoup de choses sur la politique monétaire peuvent rester obscures, admettent volontiers Pigeaud et Samba Sylla. En outre, certaines agences centrales sont peu motivées à simplifier le débat public. En effet, les éléments techniques de la politique monétaire peuvent être utilisés pour court-circuiter les discussions sur l’opportunité du système CFA. Pourtant, le contrôle des monnaies peut avoir d’énormes conséquences politico-économiques car, selon la manière dont ce contrôle est structuré et exercé, il peut être une cause d’inégalités mondiales. C’est certainement le cas des 162 millions d’habitants de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (qui comprend le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo), de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. (comprenant le Cameroun, le Gabon, le Tchad, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et la République du Congo) et les Comores. Ces quinze États composent la zone franc et la France joue le rôle de médiateur dans leur politique monétaire.

Ce livre s’adresse à de nombreux publics, notamment aux historiens de l’économie, aux théoriciens postcoloniaux et aux politologues. Il fournit une histoire politique, diplomatique et technique du développement du système CFA, montrant comment les arrangements monétaires sont également des canaux de transfert de richesse des colonies vers les métropoles. Il passe en revue la manière dont les Africains ont lutté contre ce système monétaire ainsi que les techniques utilisées par l’État français pour contrer ces tentatives, comme la cooptation des dirigeants et le sabotage économique. Le livre montre également comment l’assassinat de présidents comme Sylvanus Olympio du Togo (diplômé de la LSE) et Thomas Sankara du Burkina Faso en 1963 et 1987 respectivement ont été une aubaine pour la France étant donné qu’ils étaient tous deux opposés au système CFA.

Crédit image : ‘Francs CFA bébé !!!’ par Kaysha sous licence CC BY NC ND 2.0

L’intervention monétaire française en Afrique a une longue histoire. En 1825, le régime du roi Charles X frappa des pièces de monnaie pour Gorée, une île au large du Sénégal et site de traite négrière. Finalement, la zone de cette monnaie a été étendue pour contrer les commerçants britanniques d’Afrique de l’Ouest, souvent par le biais de la force militaire pour imposer des transitions monétaires loin des monnaies locales locales. En 1851, les autorités françaises créent la Banque d’Algérie, supervisée par la Banque de France. Les banques coloniales comme la Banque du Sénégal ont été créées en 1855 grâce à des fonds provenant des compensations de l’État français versées aux propriétaires d’esclaves après l’abolition en 1848.

Pourtant, le modèle colonial et ses composantes fiscales en vigueur depuis la Conférence de Berlin de 1884-1885 étaient mal adaptés aux évolutions du XXe siècle, comme l’a montré le mouvement indépendantiste algérien. Cherchant à « développer des solutions pour ne pas perdre complètement son empire colonial » (15), le gouvernement direct a été remplacé par la « Françafrique ». Pour les responsables de l’État français, la Françafrique fait référence à la sphère d’influence de la France, maintenue grâce au soft power des liens culturels, tandis que pour les Africains, le terme fait référence à une imposition hégémonique qui encourageait les pratiques d’enrichissement des élites qui sapaient les institutions démocratiques. L’une des composantes de la Françafrique était l’introduction par la France d’une monnaie commune en 1945, le franc CFA.

Pour simplifier, le taux de change entre le franc français et le franc CFA a été fixé de manière à ce que les flux commerciaux soient en faveur de la France, aidant ainsi la France à retrouver des parts de marché mondiales et des sources de matières premières pour sa fabrication industrielle. En surévaluant le franc CFA, les produits métropolitains sont devenus moins chers à importer, tout en augmentant le prix des exportations africaines au-dessus de celui des pays dans une situation similaire sur les marchés mondiaux. Cela signifiait que la France était essentiellement le seul acheteur de matières premières, mais pouvait le faire sans débourser de devises étrangères. Le prétexte était que cet arrangement protégerait les colonies contre une hausse de l’inflation due à un franc français dévalué en raison des ravages de la Seconde Guerre mondiale, mais le contexte est que la France a cherché à maintenir les réseaux d’extraction coloniaux pendant la guerre froide qui a suivi.

Comme l’a expliqué le militant et intellectuel Walter Rodney dans les derniers chapitres de Comment l’Europe a sous-développé l’Afrique, les élites locales pourraient s’affilier davantage aux intérêts métropolitains. Dans l’après-Seconde Guerre mondiale, le président français Charles De Gaulle a exploité ces affinités pour accorder une souveraineté formelle aux colonies, tout en maintenant des clauses économiques à travers des promesses de développement. Pigeaud et Samba Sylla sont plus indulgents envers les dirigeants locaux, suggérant que ce qui pourrait ressembler à une « servitude volontaire » (98) était plutôt une reconnaissance des contraintes contextuelles des déséquilibres de pouvoir. Ils admettent cependant que des alignements sur les « positions diplomatiques du ministère français des Affaires étrangères » (98) pourraient rapporter une aide de l’État français au maintien du régime des autoritaires.

Comme ils n’avaient pas besoin du consentement des gouvernés pour continuer à gouverner, c’est en partie ainsi qu’Omar Bongo, Paul Biya et Denis Sassou Nguesso ont réussi ensemble à gouverner pendant plus de 100 ans réunis respectivement au Gabon, au Cameroun et en République du Congo ( 98-99). « Évidemment, le franc CFA n’est pas la seule cause du sous-développement de ces pays », écrivent Pigeaud et Samba Sylla, « mais l’affirmation selon laquelle le franc CFA aurait « favorisé » la croissance et le développement dans la région est manifestement fausse » (105). ).

Le système CFA repose sur quatre principes interdépendants, à savoir «le taux de change fixe, la libre circulation des capitaux, la libre convertibilité de la monnaie et la centralisation des réserves de change» (21). Initialement fixé au franc français (et, depuis 1999, à l’euro), le franc CFA n’est pas convertible sur le marché international des changes. Cela signifie que tout le commerce international passe par la médiation du Trésor français.

Ces principes ont d’autres répercussions plus graves. Premièrement, le franc CFA étant rattaché à l’euro, les pays de la zone franc sont soumis à des politiques monétaires qui tiennent avant tout à l’évolution cyclique de la zone euro (109). Par conséquent, les pays du système CFA ne disposent pas d’outils monétaires pour faire face à la myriade de chocs locaux qu’ils subissent. Le seul outil à leur disposition sont les programmes d’austérité qui ont des conséquences désastreuses sur l’activité économique. Deuxièmement, comme « le système CFA empêche toute politique visant à mobiliser les ressources intérieures », il existe des limites à la « création monétaire » qui a des répercussions négatives sur l’activité économique (38). Troisièmement, le système autorise les sorties de capitaux au détriment des réinvestissements locaux. Par conséquent, les pays africains du système CFA sont « sous-financés » (113), avec des conséquences sur l’octroi de crédit. En résumé, Pigeaud et Samba Sylla montrent comment la stabilité du franc CFA profite en priorité aux exportateurs et investisseurs français, « préservant ainsi les avantages du passé colonial » (4).

La dernière partie du livre passe en revue les mécanismes du système CFA par lesquels la France maintient le néocolonialisme en Afrique : par exemple, comment l’État français a des représentants égaux au sein des conseils d’administration des banques centrales à Dakar, au Sénégal ; à Yaoundé, au Cameroun, et à Moroni, aux Comores. La majorité étant requise pour les décisions, la France dispose de facto d’un droit de veto. Peu de temps après, une réfutation point par point des propositions idéologiques soutenant le système CFA est suivie d’un aperçu programmatique des moyens de sortir – et des options pour remplacer – le franc CFA.

Il est crucial d’écrire sur les inconvénients du système CFA, écrivent Pigeaud et Samba Sylla, car « les citoyens africains devraient connaître son histoire, son fonctionnement et ses conséquences » (2). Certes, les intellectuels africains l’ont déjà fait auparavant avec des « analyses critiques importantes » (1) fournies par Samir Amin et Joseph Tchundjang Pouemi, entre autres. En outre, les députés africains de l’Assemblée nationale française ont protesté contre cet arrangement à plusieurs reprises depuis la création du système CFA. Mais comme le soulignent Pigeaud et Samba Sylla, « celles-ci n’ont malheureusement pas reçu l’attention qu’elles méritaient » (2). Quant à l’académie française, peu de chercheurs se sont intéressés aux « monnaies franco-africaines ». Et ceux qui l’ont fait ont souvent omis de prendre en considération tous les angles, avançant des analyses très « francocentriques » (2). Lorsqu’on réfléchit à l’étonnement quant à la façon dont et pourquoi le néocolonialisme continue de fonctionner, il pourrait être utile de réfléchir à comment et pourquoi les travaux critiques des universitaires africains sont ignorés dans le système universitaire mondial.

Le système CFA existe « en dépit du sens économique et politique le plus élémentaire » (137). Ainsi, depuis la parution de ce livre en français en 2018, de longues négociations ont eu lieu pour revisiter le système CFA. Pigeaud et Samba Sylla abordent ces politiques dans le post-scriptum. Plus largement, pour la France, « les coûts politiques pourraient dépasser les gains économiques », selon Carlos Lopes, haut représentant de la Commission de l’Union africaine. Mais il est encore visible à quel point les diplomates français tentent de bouleverser des décennies d’accords au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) alors qu’ils cherchent à fournir une assistance technique à cette transition monétaire. Pour s’inspirer des derniers mots de Tchundjang Pouemi tirés de son livre de 1980, Monnaie, servitude et liberté: La répression monétaire de l’Afrique« Le destin de l’Afrique sera façonné par l’argent ou il ne le sera pas du tout ».


Remarque : Cette revue donne le point de vue de l’auteur, et non la position du blog LSE Review of Books, ou de la London School of Economics and Political Science.


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By Helen Reid

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